Apprendre par le jeu

Cette année scolaire arrive à son terme pour nous. Avant de profiter de vacances méritées, il est encore temps de faire le bilan et de collecter les souvenirs encore vivants de moments que nous avons passés avec nos élèves.

Cette année je me suis donc lancé dans le grand bain de l’expérimentation du jeu vidéo Minecraft en classe, mais pas seulement … J’ai aussi (modestement) tenté de rendre mes cours plus vivants en utilisant quelques ressorts de la ludification (voir ci-dessous) et des aspects de classe inversée avec le réseau social Edmodo.

Autant dire qu’à la rentrée  j’ai eu l’impression de sortir tout frais de l’IUFM avec tous mes cours à créer ! Heureusement, je n’ai qu’un niveau de préparation en Technologie ce qui m’a permis de ne pas me disperser mais aussi d’avoir à ma disposition 105 « rats de laboratoire » ;o)

Dans cet article je vous présente les raisons de cette expérimentation et la démarche que j’ai suivie pour « ludifier » mes cours. Dans de prochains articles vous découvrirez :

  • pourquoi j’ai choisi d’utiliser le jeu vidéo Minecraft et comment je l’ai utilisé en cours de Technologie
  • le bilan de cette année du point de vue des élèves (ils ont répondu à plusieurs sondages) et de l’enseignant (moi et une collègue)

(j’ai commencé à rédiger cet article début janvier 2015 donc avant la réforme du collège et ses débats. Le terme « ennui » était donc déjà utilisé …)

Origines de ma démarche

Comment l’idée de faire jouer ses élèves à des jeux vidéo en classe a bien pu traverser la tête d’un enseignant apparemment sain d’esprit ?

Difficile de résumer en quelques mots les multiples  raisons qui m’ont poussé. Le fait d’avoir un de mes enfants au collège (pas dans mon établissement) m’a permis de le voir évoluer et d’ouvrir les yeux sur un sentiment commun à de nombreux élèves : l’ennui. Comment des enfants si curieux, et ouverts à l’école en arrivent-ils progressivement à aller au collège avec des semelles de plomb ?

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Atelier de robotique

En tant qu’enseignant, même en Technologie, il faut effectivement dépenser une énergie folle pour entraîner la classe à réaliser les activités proposées et à ne pas sortir du chemin prévu. Je me suis d’ailleurs rendu compte qu’introduire l’évaluation par compétences et donc supprimer les notes sur les évaluations n’a pas été un facteur suffisant pour donner envie à la plupart des élèves de recommencer  et de donc de réussir. Alors que dans mon atelier de robotique, comme je n’étais plus sous la contrainte d’un programme scolaire, j’avais introduit tout un système de niveaux (couleurs) à atteindre et de petits diplômes pour récompenser les élèves. Cette façon de fonctionner donnait de très bons résultats !

D’autre part, le monde dans lequel évoluent les élèves change rapidement et nos écoles semblent figées dans le temps en particulier au niveau des pratiques pédagogiques.

Nos élèves ont la réputation d’avoir peur de prendre des risques car l’erreur est trop souvent stigmatisante mais on pourrait dire la même chose des enseignants. La peur de ne pas respecter TOUT le programme, d’une inspection, de la réaction des parents et surtout la gestion du quotidien bloque l’initiative et incite à ne pas prendre de risques.

Si le collège ne change pas ou peu, nos élèves si.

  • L’enseignant est devenu pour eux une source d’information parmi d’autres.
  • Ils aiment travailler ensemble et co-apprendre plutôt que de suivre une démarche très guidée.
  • Ils ont envie de pouvoir se tromper et recommencer.
  • Ils préfèrent souvent procéder par tâtonnement plutôt que d’appliquer la recette fournie par quelqu’un.
  • Avant tout, ils ne supportent pas de rester passifs et veulent être en action.
  • Ils se découragent rapidement s’ils n’ont pas de retour positif.
  • Ils aiment relever des défis s’ils sentent qu’ils pourront recommencer sans être jugés ou stigmatisés.

Alors c’est parti !

A mon avis il faut donc que l’expérimentation pédagogique soit permanente. Il n’est d’ailleurs pas non plus honteux pour l’enseignant de revenir en arrière, de changer de direction, de douter !

J’ai donc décidé :

  1. de « ludifier » mes séances de Technologie
  2. d’utiliser le jeu vidéo en classe, en particulier la version éducative de Minecraft
  3. de communiquer hors de la classe avec mes élèves à l’aide du réseau social éducatif Edmodo

« Ludifier » (ou gamifier) kezako ?

Ludifier un cours consiste à le scénariser comme un jeu pour faire vivre une expérience aux élèves qui va leur donner naturellement envie de s’investir dans les activités et d’apprendre. Cela permet aussi de donner du sens à des apprentissages : les connaissance et les savoir-faire doivent être acquis puis mobilisés pour progresser dans le jeu.

Contrairement à ce qu’on entend parfois, ce procédé n’est pas manipulatoire à partir du moment où les objectifs (les apprentissages) sont clairement exprimés. De plus, c’est une méthode qui permet de mobiliser un groupe rapidement grâce à un changement de posture qui permet la prise de risque nécessaire à l’apprentissage.

Dans un autre domaine, les jeux-cadres de Thiagi (utilisés auprès d’adultes comme d’enfants) ont démontré leur puissance pour : résoudre un problème, engager un débat dans un groupe, analyser une situation, etc. Pour en savoir plus, sur les jeux de Thiagi, que personnellement je trouve bluffants de simplicité et d’efficacité, vous pouvez consulter ce site : http://www.thiagi.fr/

C’est bien gentil de « ludifier » mais comment ?

Voici les premières règles que je me suis données :

Scénariser mes séquences :

  • une mise en scène en introduction : la séquence est mise en situation à travers une histoire qui est présentée aux élèves sous forme de vidéo, ou de façon théâtrale.
    • Ex. : « Nos scientifiques viennent de découvrir une planète qui ressemble étrangement à la terre. Son climat est étrange et ses paysages bien que familiers sont troublants : en effet on peut passer du désert à un paysage enneigé en quelques centaines de mètres à peine ! 5 types de paysages ou biomes ont été identifiés par notre équipe d’exploration. Vous serez affecté avec votre équipe à un de ces biomes (…). »

  • des missions et des défis à résoudre
  • les élèves peuvent se  mettre dans la peau d’un personnage (avatar)
  • des connaissances et des savoir-faire à acquérir ET mobiliser pour réussir

Evaluer positivement :

  • des points d’expérience à gagner
  • pas de note « sur » 20 : on ne peut que progresser en engrangeant des points
  • le fait d‘en faire plus est récompensé par un badge ou médaille (cf. Edmodo). Ex : retravailler et demander un rattrapage, aider d’autres élèves etc. Un badge rapporte des points d’expériences individuels et un bonus sur la moyenne du bulletin.
  • si j’aide les autres je suis récompensé

Tous différents mais tous complémentaires :

  • la plupart des points d’expérience sont à gagner en équipe
  • des évaluations individuelles mais qui rapportent des points à l’équipe, pas l’individu. Donc en s’entraîne et on s’entraide pour aider ceux en difficulté.
  • les évaluations individuelles rapportent individuellement en terme de compétences (SACoche)
  • quand c’est nécessaire on met en avant ceux qui ont des compétences que les autres n’ont pas. Ex : ceux qui connaissent déjà minecraft, ceux qui sont  plus à l’aise en maths etc. Ils deviennent alors « conseillers techniques » de leur équipe. Les élèves sont incités à faire appel à eux avant le professeur.
  • se situer par rapport aux autres mais pas trop : les tableaux de résultats ne comportent que les noms des avatars des élèves.

Des niveaux à atteindre :

  • des seuils permettent à l’élève d’avoir un retour sur leurs progrès et un diplôme + un badge

On garde le contact :

  • les élèves peuvent communiquer via le réseau social éducatif Edmodo :
    • poser des questions au professeur et aux autres élèves
    • répondre aux questions posées par d’autres élèves
    • répondre à des tests, questionnaires, sondages
    • consulter des ressources
    • recevoir des nouvelles éditées par le prof

Bien entendu ces règles sont amenées à évoluer car je n’ai commencé mon expérimentation que depuis septembre 2014.

Et concrètement, ça ressemble à quoi une séquence ludifiée?

Dans le cadre du programme de Technologie de cinquième nous étudions le thème des bâtiments et des ouvrages d’art.

Première séquence : les éclaireurs

La première séquence que j’ai mise en oeuvre avec l’approche ludique concerne les matières premières et les matériaux de construction.

J’ai intitulé cette mission « les éclaireurs » vignette

Les points d’expériences permettent d’acquérir des niveaux. Le premier s’appelle « Mineur » avec différents grades en fonction des points (1-pioche en bois, 2-pioche en pierre …). Ces grades sont inspirés du jeu Minecraft.

Quelques moments de la séquence en images :

Un « guide » réalisé par un groupe d’élèves : Guide

Une ressource créée pour les élèves et disponible sur Edmodo :

Les compétences du programmes qui ont été travaillées et évaluées sont :

  • Socle commun :
    • Je sécurise mes données (gestion des mots de passe, fermeture de session, sauvegarde). Commentaire : les premières séances consistent à s’inscrire sur Edmodo, utiliser le courrier électronique. Créer un mot de passe sécurisé et le retenir constituait un véritable défi pour certains élèves !
    • Je sais m’identifier sur un réseau ou un site et mettre fin à cette identification
    • Je mets mes compétences informatiques au service d’une production collective
    • Je sais regrouper dans un même document plusieurs éléments (texte, image, tableau, son, graphique, vidéo…)
  • Programme de Technologie :
    • Identifier l’origine des matières premières et leur disponibilité
    • Associer le matériau de l’objet technique à la matière première
    • Rechercher, recenser, sélectionner et organiser des informations pour les utiliser.

Deuxième séquence : la planète inconnue

Cette séquence, contrairement à la précédente, utilise le jeu vidéo Minecraft. L’aspect ludique est inhérent au support utilisé : j’ai néanmoins présenté le travail à réaliser sous forme de « Défi » : 5_Fiche_defi-la planete inconnueCapture

 

Ce travail d’équipe demande à ce que les élèves s’organisent bien et se répartissent le travail. Pour les aider j’ai réalisé un jeu de cartes bilingues (MinecraftEdu est en anglais, tant mieux !) comprenant des étapes de travail : ils se les répartissaient dans le groupe et chacun essayait de poser sa carte avant ou après celles déjà posées sur la table (ordonner). Le groupe se retrouvait alors avec une ligne d’une dizaine de cartes.

etapes-2Je demandais ensuite au groupe si certaines opérations ne pouvaient pas être réalisées en parallèle. Les élèves devaient alors réorganiser leurs cartes et arrivaient en général à 2 ou 3 lignes (optimiser). Ils pouvaient alors choisir seul ou à deux une des lignes (répartir) et recopier les opérations sur une feuille de listes de tâches (plannifier).20150109_115136

Une étape obligatoire avant de se lancer dans la construction était de préparer son travail sur plan en groupe. Une feuille petits carreaux permettait aux élèves de dessiner à l’échelle (1 cube Minecraft = 1 carreau). Le plan devait être correctement réalisé (différentes vues bien dessinées)  pour que je l’accepte et que je le signe (permis de construire).

J’ai ensuite choisi de donner un temps limité dans le jeu vidéo (4 heures) pour maintenir le groupe sous tension et éviter les dispersions.

Je reviendrai dans mon prochain article sur l’utilisation du jeu vidéo Minecraft lui-même.

Les compétences du programmes qui ont été travaillées et évaluées sont :

  • Programme de Technologie :
    • Traduire sous forme d’un croquis l’organisation structurelle d’un objet technique
    • Réaliser la maquette numérique d’un volume élémentaire
    • Situer son action sur un planning de réalisation d’un objet technique

Autres moments de ludification : les badges EdmodoCapture

Le réseau social éducatif Edmodo permet aussi de gratifier les élèves avec des badges. Des petits tests à la maison, des travaux facultatifs sont autant de moments qui permettent aux élèves qui le souhaite d’en apprendre plus.

Niveaux, diplômes et tableau de points

Ce système de points permet aux élèves de progresser (pas de retour en arrière possible) et de se voir décerner des niveaux sous forme de diplôme et de badges attestant ses réussites.

Les « vraies » notes sont elles calculées à partir des compétences indiquées ci-dessus. Les badges permettent aux élèves de bénéficier de bonus pour augmenter leur moyenne.

Voici visuellement ce que cela a donné :

 

Tableau de points Technocraft affiché en classe
Tableau de points Technocraft affiché en classe

Dans le prochain article je vous présenterai l’utilisation de Minecraft.

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Diplôme niveau 1 dans Technocraft
Diplôme niveau 1 dans Technocraft