Voilà un bon moment que je voulais vous faire le compte-rendu de l’utilisation de MinecraftEDU en cours de Technologie. J’essaierai désormais de le faire plus régulièrement sous forme de journal de bord.
Ma première séquence avec Minecraft : la planète inconnue.
Voici une séquence que j’ai conçue en 2014 pour mes élèves de cinquième en collège. Je souhaitais aborder avec les élèves plus spécifiquement deux compétences du programme de Technologie :
- Identifier l’origine des matières premières et leur disponibilité
- Associer le matériau de l’objet technique à la (ou aux) matière(s) première(s)
La première compétence était habituellement difficile à acquérir de la part des élèves, je tenais en particulier à leur faire prendre conscience que la disponibilité des matières premières (bois, granite, schiste etc.) avait une influence directe sur notre environnement bâti et sur l’histoire de l’architecture. Quand on en a conscience on se rend compte que nos bâtiments et leurs murs reflètent la richesse de leurs sous-sols : le schiste violet à Rennes, le granite à Fougères, le tuffeau pour les châteaux de la Loire …
Je souhaitais aussi introduire une scénarisation de l’activité permettant de les mobiliser facilement.
La consigne est ensuite détaillée sous forme d’un tableau de points.
Préparation du terrain de jeu : création de la planète inconnue
J’ai profité de cette première séquence pour apprendre à maîtriser les outils de création spécifiques à MinecraftEDU :
- Recherche d’une carte toute prête avec différents biomes proches les uns des autres. On en trouve facilement sur internet, comme ici : http://www.minecraftforum.net/forums/minecraft-discussion/seeds/323925-1-8-1-7-x-rare-seed-all-biomes-within-2000-blocks
- Didactisation de la carte. J’aurais pu faire simple mais j’ai décidé de m’amuser un peu :
- construction d’une salle de classe « en lévitation »,
- construction d’une gare au sol,
- construction de voies ferrées emmenant les élèves dans les différents biomes,
- construction de murs de verre et pose de blocs « frontière » (spécifique MinecraftEDU) empêchant les élèves d’aller dans d’autres biomes que le leur,
- pose de blocs de « protection » (spécifique MinecraftEDU) empêchant les élèves de détruire les éléments que j’avais construits,
- mise en place de bornes de téléportation (spécifique MinecraftEDU) permettant de se déplacer rapidement entre la classe, la gare et les différents biomes,
- mise en place de blocs d’information (spécifique MinecraftEDU) avec les consignes.
Mise en oeuvre : organisation de la séquence
Les élèves ont travaillé par groupes de 4 avec deux ordinateurs à leur disposition. Comme ils sont par deux sur un poste, l’un a rôle de pilote et l’autre de co-pilote avec un Journal de bord à compléter. A la moitié de la séance les élèves échangent de rôle. Chaque groupe s’est vu affecté à un biome : désert, paysage de type européen, jungle, forêt nordique, grand nord.
Étapes :
- Découverte de la carte (1h30) : les élèves doivent se rendre dans le biome qui leur est affecté et récolter des échantillons. La carte Minecraft est en mode survie, ce qui signifie que les élèves n’ont rien à leur disposition et doivent se débrouiller pour fabriquer leurs outils et trouver les échantillons.
- Planification de la construction (1h). Les élèves se réunissent en groupe et doivent trouver et ordonner les différentes étapes de travail sachant qu’ils ont un temps limité pour construire (4h). J’ai utilisé pour cela un jeu de cartes en m’inspirant des jeux Thiagi.
- Dessin sur feuille quadrillée du plan du bâtiment (4h30).
- Construction (4h).
Réalisations des élèves
Les réalisations étaient souvent très originales, voici quelques exemples.
Biome Jungle
Biome Désert
Biome Grand Nord
Biome forêt nordique
Biome Européen
Bilan : les points positifs
Compétences abordées
Le projet de départ (la disponibilité des matériaux) a pris au fur et à mesure une autre dimension et est finalement beaucoup plus riche que prévu.
D’autres compétences du programme de Technologie ont été abordées :
- Identifier des fonctions assurées par un objet technique : accéder au bâtiment, permettre une bonne circulation dans l’exposition, intéresser le visiteur, éclairer l’exposition, introduire une dimension ludique, être original …
- Identifier la solution technique retenue pour réaliser une fonction de service. Pour sortir du bâtiment on peut utiliser une échelle, un escalier, un petit train, une cascade d’eau. Pour accéder au bâtiment on peut utiliser des portes manuelles ou automatiques. Pour éclairer l’exposition on peut utiliser un éclairage naturel (plafond de verre, fenêtre) ou artificiel (torches).
- Comparer, sur différents objets techniques, les solutions techniques retenues pour répondre à une même fonction de service. Voir ci-dessus.
- Traduire sous forme de croquis l’organisation structurelle d’un objet technique : la qualité de la réalisation du plan était fondamentale (voir ci-dessous).
- Réaliser la maquette numérique d’un volume élémentaire : c’est évidemment plus qu’un volume élémentaire !
- Associer une représentation 3D à une représentation 2D : passage d’un plan en 2D à une réalisation en 3D puis aller-retours pour valider.
- Transférer les données d’un plan sur une maquette ou dans la réalité : cf ci-dessus.
Implication des élèves
Les élèves étaient évidemment très motivés par ce projet alors que finalement le temps de jeu dans Minecraft était limité (moins de 50% du temps).
Passer de la 2D à la 3D, codes de représentation et importance du plan
C’est ce qui était le plus compliqué à aborder pour les élèves. Je me suis rendu compte qu’ils avaient souvent de grandes difficultés à représenter en 2D un bâtiment. La plupart du temps ils essayaient de tout représenter sur un seul dessin d’où des mélanges et des confusions entre les vues (face + vue de dessus) et entre la perspective et les vues de dessus. Ils ont donc appris à séparer vue de face, vue de dessus, vue de côté etc. Ils devaient aussi représenter chaque étage du bâtiment s’il y en avait plusieurs. Au lieu de réaliser un seul dessin comme ils le pensaient au départ, ils ont du en réaliser 3 à 4 par groupe. Chaque élève du groupe était donc responsable d’une vue et devait donc se coordonner avec les autres. Une fois terminés les plans ont été photocopiés pour chaque membre. En effet, une fois dans Minecraft les 2 binômes doivent se coordonner et savoir qui fait quoi, sans plan c’est beaucoup plus compliqué. L’élève co-pilote a naturellement pris le rôle de celui qui donne les consignes à partir du plan.
C’est la première fois que mes élèves ont compris à ce point l’importance d’un plan bien fait pour coordonner une équipe, discuter, négocier, planifier.
Expérience vs connaissance
Lire un document ou écouter l’enseignant pour aborder les fonctions d’un bâtiment, la disponibilité des matériaux n’a pas du tout le même impact que l’expérience vécue. L’activité réalisée avec Minecraft a un effet immersif qui peut se rapprocher d’une sortie ou d’un voyage scolaire : elle crée des souvenirs sur lesquels l’enseignant peut s’appuyer. D’autant que Minecraft autorise une grande liberté : à la différence d’un jeu sérieux, chaque groupe, chaque élève va vivre quelque chose de différent. Ils peuvent ensuite échanger, comparer. Ainsi, concernant la disponibilité des matériaux, certains se sont sentis avantagés ou lésés mais ont aussi pu constater que d’autres ont trouvé des solutions techniques pour s’en sortir (maison troglodyte par ex).
Mon rôle a consisté ensuite à raccrocher ces expériences à la réalité en leur faisant observer l’environnement bâti du quartier du collège, en leur demandant de trouver quelles solutions ont trouvé les égyptiens dans l’antiquité pour se procurer du bois …
Dans un autre domaine les élèves se sont souvent demandé quelle dimension choisir pour une hauteur de plafond, un pupitre d’exposition, une hauteur de fenêtre, une largeur de couloir. La prochaine fois, il faudrait leur montrer que de grands architectes se sont posé exactement les mêmes questions comme Le Corbusier (le modulor).
Une activité qui donne du sens et décloisonne
Anglais
La plupart des élèves qui jouent à Minecraft apprennent du vocabulaire en anglais sans s’en rendre compte (la version MinecraftEDU que j’ai installée est d’ailleurs en anglais). Les noms des matériaux étant indiqués dans cette langue ils devaient systématiquement les traduire dans leur exposition.
Mathématiques
Les élèves ont eu besoin des mathématiques pour résoudre leurs problèmes. Un groupe avait décidé de construire une pyramide en verre mais il n’est pas disponible naturellement dans Minecraft, il faut donc le fabriquer dans un four à partir de sable. Etant donné que les élèves avaient un temps limité pour finir le projet ils devaient donc être efficaces et fabriquer la quantité exacte de blocs de verres nécessaire. Ils m’ont demandé conseil et ont donc du calculer le volume de leur pyramide pour trouver la quantité de verre à fabriquer.
Difficultés et solutions
Règles de comportement
Un certain niveau d’excitation est palpable durant les premières séances. Certains élèves ont tendance à tester les limites : aller un peu partout, casser le décor, utiliser des objets non prévus (armes), essayer de taper un camarade ou le prof( !), utiliser le tchat à tort et à travers.
Heureusement MinecraftEDU (la version éducative de Minecraft qui sera remplacée par celle de Microsoft l’été 2016) permet de verrouiller le jeu donnant la possibilité de bloquer ces comportements limites. Ils sont généralement peu nombreux et révèlent surtout un besoin pour certains élèves de tester s’ils sont toujours dans l’espace scolaire ou dans un espace sans règles (même si elles ont été données oralement ou par écrit). C’est l’occasion d’une discussion/débat dans la classe sur les règles de vie dans le monde physique et numérique (dont les réseaux sociaux). A ce propos, je vous conseille vraiment de visionner cette vidéo avec vos élèves : https://www.youtube.com/watch?v=_9G-TY5rAq0.
Ce phénomène s’estompe rapidement au bout de 2 ou 3 séances et l’ambiance devient plus calme. Quelques rares élèves ont cependant clairement des difficultés à se contrôler dans un espace de jeu collectif. Une solution qui marche parfois consiste à leur donner un autre rôle : prendre des photos ou des vidéo des chantiers en cours, conseiller, coordonner.
Temps de jeu
Comme nous l’avons vu, les élèves passent un temps limité dans le jeu. La nervosité doit être gérée en arrêtant l’activité avec Minecraft 15 min avant la fin de séance pour permettre un temps de dialogue/synthèse dans le calme. J’évite aussi d’arrêter brutalement le serveur : je préviens les élèves dans le tchat 5 minutes avant, puis 2 min, puis 1 min. Au bout de quelques séances ils se déconnectent tout seuls plutôt que de jouer jusqu’à la dernière seconde.
Consignes hors du jeu, dans le jeu
Les consignes doivent être formulées clairement avant (oral/écrit) et dans le jeu lui même (panneaux d’information) car il est pratiquement impossible d’avoir l’attention des élèves facilement une fois que la partie est lancée. L’utilisation du tchat est aussi une solution mais pas toujours efficace : ils sont tellement concentrés sur leur tâche qu’ils ne voient pas ou ne lisent pas les messages qui s’affichent à l’écran.
Une collègue affiche au vidéo-projecteur un tableau où elle note des appréciations par groupe et élève en temps réel pendant sa séance. Elle affiche celui de la séance précédente dès le début de son cours. Apparemment ça fonctionne bien.
Les joueurs experts et débutants
Tous les élèves ne connaissent pas Minecraft (50-60% d’entre eux y ont déjà joué). D’autres y jouent tous les jours ! Les élèves moins aguerris peuvent d’ailleurs être inquiets en pensant ne pas réussir à suivre les autres. Une série de séances d’initiation au jeu est donc nécessaire, on peut d’ailleurs s’appuyer sur les élèves experts pour aider et conseiller leurs collègues. Plus tard, il faut veiller à équilibrer les groupes avec une bonne répartition des élèves expérimentés (on peut leur attribuer un rôle particulier au sein de leur équipe). J’ai eu cependant le cas d’un élève expérimenté qui ne pouvait s’empêcher de faire à la place des autres, ça ne marche donc pas à tous les coups.
Finalement, les élèves vont découvrir que jouer à Minecraft à la maison ce n’est pas la même chose qu’utiliser Minecraft en classe : il y a des consignes et des objectifs fixés par l’enseignant.
Rendu
L’aspect visuel obtenu est moins abouti qu’avec des modeleurs 3D comme Google Sketchup car l’unité de base est le cube. Ça ne pose aucun problème aux élèves (sauf quand ils doivent dessiner un cercle avec des cubes, ça demande un peu d’explications) mais c’est de mon point de vue compensé par l’aspect collaboratif et immersif du jeu.
Conclusion
Cette séquence m’a demandé un temps de préparation conséquent mais c’est surtout parce que j’apprenais en faisant : elle m’a permis de tester les différents outils mis à disposition par MinecraftEDU. Une bibliothèque de cartes en ligne permet d’éviter de tout créer soi-même, elle propose des activités clef-en-main dans différents domaines.
La richesse des interactions en classe et l’implication des élèves sont largement à la hauteur de cet investissement. Sans nécessairement remettre en place l’activité telle quelle je peux aussi faire visiter les réalisations aux élèves des années suivantes.
Je continue donc à mettre en place des séquences utilisant Minecraft sans préparer de carte aussi complète que celle présentée ici.
Si vous souhaitez obtenir la carte MinecraftEDU de cette séquence, je peux vous l’envoyer sur simple demande (en commentaire ou avec le formulaire de contact).
Lors de prochains articles je vous présenterai d’autres exemples :
- mesurer et reproduire la salle de Technologie (octobre 2015)
- reproduction de notre collège (en cours)
- reproduction du château de Fougères à travers le temps (en cours)
- reproduction de l’église Bonabry de Fougères (en cours)
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