Un article sur l’expérimentation que je mène vient de paraître sur le site d’actualités « Le café pédagogique ». Vous pourrez retrouver l’interview original ici : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/03022015Article635585374082292724.aspx
Je reprends l’article en illustrant certains aspects.
Utiliser les jeux vidéo comme outils d’apprentissage : une expérimentation que mène Stéphane Cloâtre avec ses élèves. Ingénieur de formation et enseignant en technologie, Stéphane Cloâtre s’est précisément intéressé à Minecraft ; le fameux jeu qui connaît un succès planétaire avec ses blocs en 3D pixélisés. Comment utilise-t-il Minecraft en cours ? Quelles applications possibles en SVT ? Rencontre avec cet enseignant innovant pour qui « Le plaisir d’apprendre ne se décrète pas mais se vit ».
Vous expérimentez depuis quelque temps le jeu Minecraft en cours de Technologie. Pourquoi avez-vous choisi ce jeu vidéo ?
Dans la grande diversité des jeux vidéo existants aujourd’hui un certain nombre sont particulièrement adaptés à l’enseignement. Minecraft est un jeu de type « bac à sable » : le joueur est plongé dans des paysages entièrement composés de cubes représentant des éléments naturels. On peut les récolter, les transformer pour fabriquer des matériaux, des outils ou des systèmes automatisés. On peut y jouer tout seul ou à plusieurs : l’aspect collaboratif est très important. Il est facile de prise en main, d’ailleurs il était déjà connu d’une bonne partie de mes élèves.
Quels sont vos objectifs ?
Le programme de Technologie en cinquième est centré autour du thème des bâtiments et des ouvrages d’art. J’utilise donc Minecraft pour mettre les élèves en situation lors de certaines séquences avec pour objectif que les questions émergent des problèmes qu’ils ont à y résoudre (rareté des matériaux, notion d’échelle, nécessité de planifier etc.). Cela permet non seulement de lancer le dialogue avec les élèves sur la notion de réel et de virtuel (quelles différences y a-t-il entre ces univers numériques et notre monde ? ) mais aussi d’aborder la citoyenneté numérique. Le comportement que l’on a dans un jeu doit être adapté à la situation même si on est représenté par un avatar ! Cela permet aussi de faire évoluer la posture de l’enseignant dans classe. Le groupe se met en mouvement tout seul, l’enseignant prend alors le rôle de régulateur et de conseiller technique. 99 % des élèves sont concentrés sur ce qu’ils ont à faire.
Quelles notions sont abordées avec ce jeu ?
Concernant les capacités du programme de Technologie j’ai retenu entre autres : l’origine des matières premières et leur disponibilité, la modélisation du réel, la réalisation de plans et la notion d’échelle. Les possibilités sont très nombreuses : le jeu n’est pas forcément un support à l’apprentissage mais avant tout un moyen de mettre les élèves en situation pour ré-utiliser des connaissances qu’ils ont acquises précédemment. Ainsi, j’aborde d’abord les matériaux dans le « réel » puis les élèves doivent ensuite récolter des matières premières, fabriquer des matériaux et organiser une exposition dans Minecraft en prenant soin de montrer les ressemblances et différences entre ces deux mondes. Prochainement : construire le collège et notre quartier.
Comment s’organise le travail ?
Les élèves travaillent par groupe de 4 avec 2 ordinateurs. Ils doivent d’abord se mettre d’accord sur une stratégie et planifier leur travail. Ils jouent ensuite à 2 par ordinateur, chacun a un rôle. Celui qui ne manipule pas a toujours une feuille de route : observer, noter, donner les instructions en fonction du plan etc. C’est un co-pilote. Les rôles sont inversés en milieu de séance. En fin de séance un temps d’échange est organisé.
Quels sont les aspects motivants pour les élèves ? Est-ce le cas pour tous les collégiens ?
Les élèves aiment travailler en équipe et apprendre entre eux : les élèves qui connaissent déjà Minecraft sont les conseillers techniques des équipes. Ils aiment par dessus tout être en activité et procéder par essai/erreur : l’univers du jeu vidéo leur permet plus facilement de prendre des risques sans être jugés. Minecraft étant très ouvert ils ont d’ailleurs rapidement un sentiment de grande liberté et peuvent exprimer leur créativité. L’ambiance de classe est détendue et certaines situations improbables peuvent déclencher des fous rires sans qu’ils perdent de vue les objectifs.
Le jeu permet de se tromper, de recommencer et que seul le résultat final compte. Les équipes ont d’ailleurs été composées de manière équilibrée entre joueurs avertis et débutants. Il n’y a pas de lien direct entre Minecraft et les évaluations. La très grande majorité des élèves a compris qu’il y a une différence entre jouer à la maison et utiliser le jeu vidéo en classe donc avec certaines contraintes qui ont pour but de les protéger.
Avez-vous des exemples de projets réalisables en SVT ? Dans d’autres matières ?
Un enseignant a créé une activité sur la tectonique des plaques et les volcans : les élèves doivent identifier les différents types de zones (divergence, subduction etc.), en créer des représentations 3D ainsi que la coupe d’un volcan. Un autre enseignant a conçu une activité sur Minecraft pour préparer les élèves aux techniques d’extraction de l’ADN. Enfin un dernier exemple avec une visite virtuelle d’une cellule (vidéo ci-dessous).
J’accompagne actuellement une collègue de latin qui s’est lancée avec ses élèves dans la reconstruction du Forum Romain à Rome. Après une phase de recherche ils travaillent par équipe sur un bâtiment. Cela permet aux élèves de rentrer dans l’intimité des bâtiments et de faire émerger des questionnements intéressants. Les constructions pourront ensuite servir de décor pour des vidéos, des personnages virtuels pourront être ajoutés et poser ou répondre à des questions des visiteurs en latin. Les possibilités sont donc nombreuses.
Je conseille un manuel sorti cette année aux Etats-Unis, « Minecraft in the classroom » (3) , il présente 10 exemples parmi les nombreuses expériences menées en histoire-géographie, sciences, mathématiques, langues, lettres.
Quels conseils donneriez-vous à des enseignants qui souhaiteraient tester les jeux vidéo à des fins pédagogiques ? Des écueils à éviter ?
On peut dans son enseignement parler de certains jeux vidéo (sans que les élèves y jouent) pour illustrer un cours ou développer un regard critique. Un certain nombre d’enseignants en histoire-géographie comme Romain Vincent (@RomainHG) le font déjà de manière très pertinente. Il faut bien évidemment tester un jeu avant de l’utiliser avec ses élèves : pas besoin d’être un expert, pour Minecraft par exemple quelques heures suffisent pour en comprendre l’essentiel.
Je conseillerais aussi de ne pas hésiter à s’appuyer sur les élèves : ils seront ravis de montrer ce qu’il savent faire. J’ai d’ailleurs découvert que certains de mes élèves de cinquième ont leur propre chaîne youtube et savent tourner, commenter et monter des démonstrations sur leurs jeux favoris (en terme de compétences du socle c’est intéressant !). Les objectifs pédagogiques doivent être énoncés clairement aux élèves de même que les règles de comportement qui ne sont pas si différentes dans le virtuel que dans le réel. Il faut le faire avant de commencer le jeu car une fois la partie lancée les élèves seront moins attentifs aux messages extérieurs du fait de leur concentration.
Je dis aussi régulièrement à mes élèves que jouer en classe est un « plus » pas une obligation et que si les règles énoncées ne sont pas respectées les activités peuvent être menées d’une autre manière. Le message passe très bien. Les premières séances peuvent être débordantes d’énergie tellement les élèves sont enthousiastes. Rapidement, c’est plutôt une ambiance de grande concentration qui prend place. Je conseille aussi de prévoir un « sas de décompression » d’au moins 10 min avant la fin du cours. L’énergie doit pouvoir retomber : c’est l’occasion de lancer une discussion sur ce qu’ils ont vécu et découvert à travers le jeu. Ne pas arrêter non plus brutalement la partie sans les prévenir (« nous allons finir dans 5 min, pensez à sauvegarder ! »).
D’un point de vie sémantique, quelles différences faites-vous entre les jeux vidéo et les jeux sérieux ?
Les jeux sérieux sont des jeux développés en ayant dès le départ un objectif d’apprentissage ou un message à faire passer. La dimension ludique est souvent insuffisante : le jeu perd rapidement de son intérêt pour les élèves. L’équilibre sérieux/ludique est difficile à trouver mais il est pourtant indispensable.
La dimension ludique est celle qui sert de moteur à l’activité : si elle est trop faible l’enseignant se retrouve à pousser la voiture ou plutôt le bus scolaire ! Un jeu sérieux sur le moyen-âge sorti tout récemment en est l’exemple parfait : il est beau, précis historiquement et bien documenté mais la dimension ludique est très pauvre. Le joueur a peu de libertés : il doit collecter des pièces de puzzle sans vraiment pouvoir sortir du chemin et répondre à une question après chaque vidéo. Ce type de jeu a certainement un intérêt mais il ressemble beaucoup trop à un manuel scolaire interactif. Nos cousins québecois ont cependant développé des plate-forme de jeux sérieux très bien faites comme scienceenjeu.com.
Les jeux vidéo, eux, n’ont pas été conçus spécifiquement pour l’enseignement, l’aspect ludique est très présent mais cela ne veut pas dire qu’ils sont dénués d’intérêt ! Les éditeurs sont obligés de réfléchir profondément aux processus d’apprentissage car ils doivent initier puis faire progresser le joueur en lui proposant des défis de plus en plus complexes sans le décourager ni lui demander de lire un manuel de 500 pages ! Une dimension sérieuse est parfois présente pour les jeux ayant une toile de fond historique par exemple comme la série des Assasin’s Creed ou les jeux de stratégies très documentés comme Empire Total War. Les jeux « bac à sable » comme Simcity, les Sims, Portal ou évidemment Minecraft restent les plus intéressants pour nous. On peut donc détourner certains de ces jeux à des fins pédagogiques afin de garder le moteur « motivationnel » qui va entraîner les élèves naturellement.
Dans les pays anglo-saxons, l’utilisation des jeux vidéo en cours est apparemment plus fréquente qu’en France. Un paradoxe quand on sait que les développeurs français de jeux vidéo sont parmi les plus prisés au monde. Qu’en pensez-vous ?
Si on prend l’exemple de Minecraft, que je connais mieux, il est utilisé par des enseignants en Corée, aux USA, en Australie, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Danemark ou en Finlande (l’équipe de MinecraftEDU est basée là-bas). C’est donc un phénomène bien plus large.
L’image véhiculée autour des jeux vidéo en France est malheureusement souvent négative ce qui peut expliquer une partie de notre retard. Plus profondément je pense que les réticences à l’entrée du jeu vidéo à l’école sont révélatrices d’un certain malaise de notre système éducatif. Nos élèves ont beaucoup changé et nos pratiques pédagogiques doivent nécessairement évoluer : nous voulons souvent tout mesurer et maîtriser dans un souci d’efficacité. Ce nouveau média met en lumière nos contradictions : le plaisir d’apprendre ne se décrète pas il se vit.
Encore une fois ce n’est pas la panacée, mais si des enseignants ont envie de se lancer dans l’aventure c’est une expérience collective passionnante !
Propos recueillis par Julien Cabioch