Minecraft dans l’éducation : quels enjeux ?

Je me baserai ici sur l’excellente synthèse de Seann Dikkers dans son ouvrage (en anglais) : TEACHERCRAFT How teachers learn to use Minecraft in their classrooms. Il peut être acheté ou téléchargé gratuitement sous licence Creative Commons ici : http://press.etc.cmu.edu/content/teachercraft-how-teachers-learn-use-minecraft-their-classrooms

Seann Dikkers est enseignant à l’universite d’Ohio aux Etats-Unis et a mené une recherche sur l’utilisation par certains enseignants du jeu Minecraft en classe. Il s’est en particulier attaché aux raisons pour lesquelles certains se sont lancés dans l’aventure tout en ayant un regard éclairant sur les freins existants dans le système éducatif. Bien que menée aux USA, les constats sont très proches de ce que j’ai vécu cette année.

Je ferai régulièrement des parallèles entre les résultats de sa recherche et mon expérience. Les arguments de Seann Dikkers (pas traduits de manière littérale quand même) dans son ouvrage seront en bleu.

 

La place des jeux vidéo dans l’éducation : un sujet à controverses et chausses-trappes chez les fans comme chez les contradicteurs !

Un accueil de plus en plus favorable …

Un nombre d’enseignants de plus en plus nombreux portent un regard favorable à l’utilisation des jeux vidéo en classe. Lou Roy dans son mémoire de recherche Les jeux vidéo dans l’enseignement des Arts Plastiques (Université Catholique de l’Ouest, 2015) a sondé un échantillon de parents et d’enseignants : 65% des parents et 79% des enseignants interrogés pensent qu’ils ont leur place à l’école.

… mais les réticences demeurent.

Cependant d’autres réactions sont entendues : les jeux vidéo sont une perte de temps, sont violents, anti-sociaux etc. Considérant que les jeux vidéo sont ni plus ni moins un nouveau média, Seann Dikkers considère que l’opposition à leur introduction dans l’éducation est très proche de celle que l’on a pu avoir dans le passé à l’introduction du … livre ! Platon considérait en effet le passage de l’apprentissage oral en contact direct avec le maître à l’apprentissage à travers le livre comme un danger : la mémorisation était pour lui essentielle.

Celle-ci apportera l’oubli dans les âmes de ceux qui l’apprendront, car ils n’exerceront plus leur mémoire ; en effet, à cause de leur confiance dans l’écrit, c’est de l’extérieur et par des caractères étrangers, non de l’intérieur et par eux-mêmes, qu’ils se remémoreront. Tu as donc trouvé un remède efficace non pour la mémoire, mais pour le rappel. Quant à l’instruction, tu en procures aux élèves l’apparence, non la réalité. Devenus en effet érudits sans enseignement, ils paraîtront très avisés tout en manquant généralement de réflexion, et seront difficiles à vivre, se croyant instruits sans l’être vraiment. Platon (Phèdre)

Les réticences à l’introduction d’un nouveau média s’expliquent en partie par la peur de perdre une chose que nous estimons précieuse personnellement (ici la mémorisation). C’est oublier que mémoriser des mots dictés en direct n’est pas la seule façon d’apprendre ! 

Les enseignants : des experts à prendre au sérieux

http://dlib.anatolia.edu.gr/jspui/handle/1886/455

Il faut cependant prendre au sérieux les doutes émis par certains enseignants. En effet, les enseignants sont des experts. Si on prend en compte le nombre d’élèves, de classes, de séances qu’ils doivent assurer, ils ont une expérience réelle de la pertinence de leurs cours. Ils regardent donc avec circonspection les injonctions institutionnelles et ne s’en laissent pas facilement conter.

Il ne faut donc pas perdre de temps à les convaincre mais plutôt leur montrer des méthodes d’apprentissage plus efficaces.

L’enthousiasme des convaincus leur fait parfois utiliser des arguments faibles (ça m’est arrivé) comme :

  • les jeunes aiment les jeux vidéo,
  • d’ailleurs toutes les générations jouent à des jeux vidéo aujourd’hui
  • les jeux vidéo nécessitent d’apprendre le jeu pour réussir
  • les jeux sont des systèmes complexes
  • les jeux rendent les apprentissages complexes amusants

On pourrait d’ailleurs remplacer le mot jeu vidéo par livres ça pourrait marcher à certaines époques …

Avancer de manière mesurée et rationnelle

Il ne faut donc pas se focaliser sur les qualités intrinsèques mais sur ce qu’apportent CERTAINS jeux vidéo aux OBJECTIFS de l’enseignant dans le cadre des PROGRAMMES pédagogiques. Ainsi :

  1. certains jeux (comme Minecraft) sont populaires auprès des élèves et peuvent les impliquer dans leur apprentissage
  2. certains jeux nécessitent des apprentissages importants ou offrent une expérience de jeu pertinente pour la classe
  3. les jeux ont des niveaux de complexité divers et certains sont le seul moyen de mettre en place certaines situations en classe
  4. le but principal de l’école n’est pas de s’amuser mais elle fonctionne mieux en terme d’implication des élèves, de relations élèves-professeurs, d’interactions quand c’est le cas

Pourquoi Minecraft ?Minecraft dinner queue

Je ne reviens pas ici en longueur sur l’intérêt pour l’éducation de ce jeu (voir cet article, celui-ci ou encore celui-là). Seann Dikkers le résume ainsi :

  • c’est avant tout un outil de création
  • il n’est pas directif : il fait confiance à l’intelligence du joueur
  • il est social et attractif car on peut jouer avec ses amis 
  • il est ouvert et modifiable, d’où la prolifération de Mods (extensions) permettant de le personnaliser. MinecraftEdu en est un.

 

Comment ai-je choisi d’utiliser Minecraft ?

Sous forme chronologique voici les étapes par lesquelles je suis passé :

  • 2013 : Je découvre l’existence de Minecraft. Dans ma jeunesse (pas si lointaine ?) j’ai vu l’apparition des premiers jeux grands publics. Etudiant j’ai notamment joué au premier Doom, Age of Empires, Simcity, Tomb Raider sur PC ou PlayStation. Devenu moins assidu, je me suis replongé dans le bain des jeux vidéo avec mes enfants. J’ai ainsi découvert le jeu Minecraft avec mes élèves et mon fils qui ont sensiblement le même âge. J’observe …
  • Fin 2013 : Je commence à jouer à Minecraft seul ou avec mes enfants. Je découvre le gameplay et commence à faire des liens avec ma discipline (la Technologie).
  • Février 2014 : Je recherche des informations sur le net autour du jeu vidéo et des apprentissages (Dan Short, David Williamson Shaffer, James Paul Gee et évidemment Julian Alvarez (un français !)). Je découvre la version éducative de Minecraft, MinecraftEdu : elle permet de créer un serveur local (pas d’accès internet nécessaire) dans la classe et offre des outils complémentaires. Elle a été créée par des enseignants, c’est une communauté très active que je me mets à consulter. A ma demande le collège investit dans 15 licences MinecraftEdu.
  • Mai 2014 : premiers tests avec des élèves sur 2 séances. J’apprends à gérer le jeu, j’observe les réactions des élèves.

Minecraft After School

  • Été 2014 : préparation de cours intégrant Minecraft en lien avec le programme de Technologie. Traduction de la partie « tutoriel » de l’anglais vers le français : c’est avec elle que je commencerai à initier mes élèves au jeu.
  • Septembre 2014 : mise en oeuvre pour une année scolaire.

 

Comment les enseignants choisissent-ils finalement d’utiliser Minecraft ?

Vous verrez ici que ma démarche correspond aux observations faites par Seann Dikkers de l’autre côté de l’Atlantique.

Pour introduire de nouveaux outils les enseignants passent par un processus de validation. Valider c’est passer de la position de quelqu’un qui a entendu parler d’une nouvelle pratique, d’un outil ou d’une idée à celle de quelqu’un qui va l’utiliser réellement dans son enseignement. Cela demande du temps pour réfléchir et trouver une démarche d’appropriation.

La formation continue qui semble trop souvent peu efficace pour que les enseignants changent réellement leur pratique. Aucun des enseignants interrogés pour cette étude n’a été vraiment convaincu d’utiliser Minecraft seulement grâce à une présentation ou un atelier.

Aujourd’hui les sources d’informations sont massivement numériques. Les enseignants qui souhaitent innover n’attendent plus et ne se satisfont plus seulement de réponses institutionnelles telle que la formation continue. Silencieusement une révolution dans ce domaine a déjà commencé. En tout cas pour cette partie des enseignants qui est toujours en mouvement …

Si on demande à ces enseignants ce qui les fait évoluer vers de nouveaux outils ou de nouvelles pratiques ils expliquent qu’ils
1. apprennent de leur vie quotidienne (loisir, hobby, enfants). 100% des participants l’indiquent !
2. valident auprès de leurs élèves. L’élève tient un rôle central dans leur démarche pédagogique. Ils considèrent apprendre beaucoup de leurs élèves.
3. se construisent une bibliothèque d’informations à l’aide de ressources numériques. Communautés en ligne, tutoriels vidéo notamment.

Ils ont besoin de multiples faisceaux d’intérêts pour prendre conscience de l’intérêt réel d’un nouvel outil. Le fait d’être soi même joueur revient très souvent parmi ces enseignants. Ils ont besoin de tester le jeu avant de prendre la décision de l’introduire en classe.

L’étude révèle qu’une présentation, la lecture d’un livre n’est jamais suffisante pour déclencher un changement de pratique pédagogique. Le fait de penser qu’une nouvelle pratique est intéressante et réellement se lancer sont deux étapes de validation bien séparées.
Cela doit nous faire réfléchir à la façon dont nous concevons nos dispositifs de formation continue car il faut à la fois un contact concret (jouer), une appétence personnelle pour le sujet (apprendre) et des informations en ligne (rechercher). Ce que l’on prône pour les élèves (l’élève acteur) nous devons aussi l’appliquer aux apprenants adultes ! Ainsi, attendre que les enseignants utilisent une nouvelle technologie sans qu’ils aient la possibilité de l’apporter à la maison et jouent avec (tablettes par exemple) est une illusion. Des dispositifs d’accompagnement sont indispensables en complément des sessions de formation. Ainsi moi-même comme William Aumand (collègue ayant introduit Minecraft au collège Léonard de Vinci de Saint Brieuc) avons eu l’occasion d’accompagner des enseignants EN CLASSE lors de leurs premières séances avec Minecraft.

Les élèves sont toujours ravis de montrer à leurs enseignants ce qu’ils savent faire, notamment dans le domaine du numérique : ils font preuve de patience et sont familiers avec le fait d’apprendre aux autres à jouer ! Pourquoi ne pas les intégrer dans les processus de formation continue des enseignants ?

Comment les enseignants utilisent-ils Minecraft en dehors de leurs cours ?

Les enseignants de l’étude menée par Seann Dikkers (cf ci-dessus) ont d’abord testé l’utilisation de Minecraft dans le cadre de clubs hors temps scolaire. Pour les enseignants qui ne sont pas des gamers cela leur permet de se familiariser avec le langage du jeu sans les contraintes du programme scolaire.

« Quand on tient absolument à introduire de l’apprentissage sérieux (le programme) dans le jeu, on tue le jeu et il ne sera plus amusant » dit l’un d’entre eux.

« Il faut apprendre à se mettre de côté et laisser les enfants jouer ». On risque en effet de donner des objectifs et des contraintes qui cassent la mécanique du jeu.
« J’essaie toujours de trouver un bon équilibre entre le but recherché en leur donnant des objectifs mais en incluant des segments de jeu (gameplay) pendant lesquelles on joue simplement à Minecraft. ». Il faut aussi se donner du temps pour observer les joueurs et voir ce qu’ils font par eux-même.

L’ouverture d’un club Minecraft rencontre toujours un grand succès et l’enseignant peut être vite débordé par le nombre d’élèves intéressés (les élèves eux-mêmes en sont en effet les meilleurs promoteurs).
Un certain nombre d’enseignants enrichissent le fonctionnement de leur club de récompenses, badges et projets de constructions en équipes. Dans ce cas, les contraintes et les objectifs sont plus là pour améliorer l’expérience de jeu que de contrôler les jeunes.
Parfois des conflits peuvent avoir lieu mais certains enseignants les considèrent comme des opportunités pour faire du lien entre ces sentiments forts 2015-01-16_12.33.28ressentis par les jeunes dans un univers virtuel et la citoyenneté réelle. Ces temps ouverts et libres en dehors des temps de classe très structurés durant la journée sont une respiration.

Comment les enseignants utilisent-ils Minecraft en classe ?

Jeu libre

Même dans le cas de jeux « libres » les enseignants donnaient des instructions de départ et utilisaient des défis ou des badges pour orienter les premiers pas de leurs élèves.
Bien que permettant de développer des compétences collaboratives, le jeu libre ne permet pas de conduire aux objectifs d’apprentissage.

Scénario

Une deuxième stratégie consiste à faire jouer un scénario aux élèves. Bien que les enseignants la définissent encore comme du jeu libre, ils disent aux élèves où construire, quel type de bâtiment etc. C’est une façon très basique de construire un scénario. Dans un cas il s’agissait de construire une ville : les élèves avaient le rôle de villageois et avaient simplement un travail à faire.
Une autre façon de procéder est d’organiser un jeu de survie, c’est aussi assez simple. « Vous avez échoué sur une île … qu’allez-vous faire ? ». Un enseignant s’est notamment inspiré du livre Sa majesté des mouches. Un autre a souhaité exploité la découverte de l’Amérique par les Européens. Les élèves partaient du continent après avoir construit des bateaux. Quand ils sont arrivés sur le Nouveau Monde, ils ont trouvé des NPC (Personnages Non Joueurs générés automatiquement dans un village). Le résultat est qu’ils ont pillé le village cruellement car ils avaient du mal à trouver des matériaux. Le jeu a mis les élèves dans une situation où les interactions entre les conquérants européens et les Indiens a créé des conversations personnelles. Quand l’enseignant a connecté cette expérience avec l’Histoire réelle, ils ont eu une des discussions les plus passionnantes de l’année. Ici l’objectif du jeu est de faire vivre aux élèves des expériences sur lesquelles l’enseignant va pouvoir capitaliser pour des apprentissages.

C’est la stratégie que j’ai adoptée pour commencer en mettant les élèves en situation :

  • La planète inconnue : les élèves sont affectés dans différents paysages où certains matériaux sont facilement disponibles, d’autres sont rares. Ils doivent récolter les matières premières, les transformer (mode survie) et construire un musée scientifique présentant les matières premières et les matériaux qu’ils ont trouvés en essayant de faire du lien avec les matériaux réels en un temps limité. Le plan du musée doit être fait par écrit.

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    La Planète inconnue : construction d’un musée dans le biome jungle
  • Le collège et son quartier : les élèves ont à leur disposition les plans du collège et une carte avec les traces au sol des bâtiments. Ils doivent convertir les dimensions réelles à l’échelle du jeu, identifier les matériaux et reproduire les bâtiments le plus fidèlement possible. Tous les matériaux sont à leur disposition (mode créatif).

Prochain scénario possible :

  • Les châteaux-forts : construire en équipe des châteaux-forts en choisissant de manière stratégique le lieu (disponibilité des matériaux, défense, ressources), respecter les fonctions que remplit un château-fort, préparer sa défense, attaquer celui d’une autre équipe et s’en emparer. Liens avec l’Histoire.

Organiser une présentation

Les élèves présentent à l’aide du jeu un élément du programme (Math, Histoire etc.). En Histoire, ce projet d’Erik Walker a pris une ampleur incroyable pour devenir World of Humanities, une immense carte où l’on peut trouver les bâtiments célèbres de différentes civilisations.

Dans mon établissement l’enseignante de Latin a commencé à reconstituer le forum romain avec ses élèves.

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Temple de Vesta (reconstitution du Forum Romain par des élèves de 4ème en latin)

Une fois le décor terminé les élèves peuvent s’en servir pour organiser un jeu, insérer des personnages pouvant comporter des dialogues, tourner un film. Les films tournés dans un jeu vidéo sont appelés machinima : une série policière a été tournée avec Minecraft (MineCases) !

Scénarios en Sciences

Entre autre exemples :

  • reconstitution d’une cellule très agrandie et visite de celle-ci par les élèves
  • construction d’une maquette du système digestif, d’un volcan etc.
  • démarche scientifique : expérimentations utilisant certains caractères du jeu (chutes, explosions, course du soleil, combustion etc)

Mathématiques

Les premiers travaux portent souvent sur la notion d’échelle ce qui nécessite une préparation et des calculs en dehors du jeu. Les élèves peuvent aussi être amenés à mesurer la réalité et la reporter dans le jeu.

Minecraft en lui-même est un modèle de représentation et donc régi par des lois mathématiques, des formules.

Un enseignant l’a utilisé dans son cours sur les coordonnées (axes X, Y, Z), d’autres sur les notions de volume, de périmètre …

Lettres & Langues

Une activité qui vient naturellement à l’esprit consiste à re-créer des histoires, des extraits de livres en 3D. D’autres enseignants se sont servi du jeu pour faire vivre des aventures aux élèves (ex. Robinson Crusoé) et leur faire ensuite raconter leur expérience à l’écrit sous forme de blog.

Les élèves peuvent aussi créer ou résoudre des énigmes dans le jeu en utilisant une langue étrangère.

Histoire-Géographie

Explorer un monde, le reconstruire comme dans World of Humanities (voir ci-dessus) peut constituer un commencement. On peut aller plus loin en faisant « vivre l’Histoire » en les mettant dans des situations permettant de rebondir sur un contexte réel (voir la découverte de l’Amérique ci-dessus ou encore mon idée de scénario sur les châteaux-forts).

Minecraft est aussi un outil très intéressant en cartographie. Exemple :  faire comprendre la notion de courbe de niveaux (c’est vraiment bluffant à tester !). On peut reproduire les reliefs réels d’une partie du monde et l’exploiter (cela peut se faire de manière automatisée avec des cartes satellites et quelques logiciels gratuits).

Conclusion

Nous venons donc de faire un tour d’horizon des possibilités offertes par Minecraft et du contexte dans lequel ce jeu peut se développer dans l’enseignement. Microsoft ne s’y est pas trompé en rachetant la société Mojang créatrice du jeu pour 2.5 milliard de dollars et en annonçant 6 mois plus tard la création de la plate-forme mondiale Minecraft in Education dont l’objectif est de mutualiser les séquences de cours utilisant Minecraft !

Dans le prochain article je vous présenterai le bilan de cette année avec Minecraft en Technologie au collège : de mon point de vue et du côté des élèves en continuant à m’appuyer sur les recherches de Seann Dikkers.